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Retour de manivelle Accoudée à la balustrade de son immense terrasse ombragée par une tonnelle de vigne vierge, elle tirait voluptueusement sur son fume-cigarette d’ivoire en observant l’homme qui travaillait dans son jardin. Il s’échinait sur quelques malheureuses mauvaises herbes qui s’obstinaient à grandir dans le gravier menant du portail monumental au perron tout aussi imposant. On pouvait voir qu’il souffrait, il n’était plus tout jeune, son chapeau n’arrivait pas à protéger sa nuque du soleil, sa peau rougissait, quand il se relevait il prenait toujours appui sur ses reins pour redresser le dos puis faisait quelques pas hésitants et lourds avant de retrouver un semblant de souplesse et de s’accroupir devant d’autres herbettes destinées à mourir. Il bougonnait. La femme ne pouvait entendre ce qu’il disait mais voyait ses lèvres bouger et, par le pli amer qui entourait la bouche de l’homme, devinait que c’était loin d’être une ode au bonheur. Cette mauvaise humeur apparente la mettait en joie. Elle souriait, de temps en temps elle sifflait le pauvre homme juste pour lui adresser un petit geste de la main. Puis, elle jeta le mégot de sa cigarette et ordonna à l’homme de le ramasser. Il se releva péniblement, ses mains calées sur le bas de son dos et, d’un pas traînant, se dirigea vers le mégot. Ses yeux la scrutaient, remplis de haine. Elle soutint son regard sans ciller, un sourire moqueur aux lèvres. L’homme ramassa le mégot, le considéra avec dégoût puis le jeta ostensiblement dans la brouette contenant les mauvaises herbes déjà arrachées. Il retourna à son travail. La femme, elle, entra dans la maison. Elle fit quelques pas dans le salon avant de s’arrêter et d’admirer, une fois de plus, son intérieur impeccablement tenu par l’homme. Pas un grain de poussière, pas une trace de doigts, pas un objet qui ne fût à sa place. Elle soupira d’aise, s’installa dans un profond fauteuil de cuir, prit un magazine, le feuilleta distraitement. Son attention ne pouvait se fixer. Elle releva les yeux, les posa sur un tableau la représentant dans une posture hiératique. Elle aimait ce portrait, il la flattait. Elle n’était plus aussi avenante que le peintre l’avait vue. Le luxe et le farniente avaient alourdi son corps et les traits de son visage. Et pourtant, cinq ans auparavant, la situation était bien autre. Il y a cinq ans, elle était encore la domestique de l’homme dans le jardin. Encore et depuis longtemps, presque quinze ans. Elle s’occupait de tout chez lui, du ménage, du linge, des repas, de la tenue des comptes, des réponses aux diverses manifestations où il était invité, d’accepter ou de refuser certaines visites, principalement féminines. Elle était jeune quand elle avait trouvé ce poste, jeune et jolie. L’homme était célibataire, menait une vie essentiellement vouée au travail et accessoirement à quelques sorties, toutes liées à son activité professionnelle. Il était immensément riche de par ses parents et avait su faire fructifier ce qu’ils lui avaient laissé. Il n’était pas méchant, un brin arrogant et hyper exigeant. Tout ce que la femme faisait devait être parfait. Si la perfection n’était pas atteinte, elle devait recommencer jusqu’à satisfaire aux requêtes de son maître. Combien de fois n’avait-elle ainsi pas dû cirer les parquets à genoux, l’homme estimant que les machines étaient bruyantes, dérangeantes et qu’elles ne pouvaient remplacer l’huile de coude ? Elle se revoit encore, suant, les rotules douloureuses, les bras rendus raides par l’effort, l’odeur de la cire la faisant presque suffoquer. Dieu, qu’elle avait souffert ! Et le repassage ! Le moindre faux pli était invariablement détecté par son maître et il ne la lâchait pas des yeux pendant qu’elle redépliait tout le linge, l’examinait et effaçait au fer tous les plis que dans sa hâte et sa négligence elle n’avait pas manqué d’imprimer aux chemises, pantalons, slips et même chaussettes ! Et que dire des repas : combien de fois n’avait-il pas jeté dans la poubelle des plats qu’elle avait mis des heures à confectionner ! Le goût, la couleur, ou tout simplement la présentation ne l’agréait pas. Mais elle ne voulait pas donner son congé, la paie était très supérieure à la moyenne et, silencieusement, elle s’échinait à donner satisfaction. Jusqu’au jour où, cinq ans auparavant, elle avait reçu la visite d’une jeune femme désespérée, pleurant toutes les larmes de son corps, tellement qu’elle n’arrivait qu’avec grand peine à raconter ses malheurs. Elle avait rencontré l’homme lors d’une soirée organisée par l’entreprise pour laquelle elle travaillait en qualité de directrice des ventes. Cette entreprise désirait fortement s’allier cet homme puissant et ses ressources financières. On lui avait donc confié le rôle d’appât, on comptait sur son charme et son intelligence pour convaincre l’homme d’investir une bonne partie de sa fortune et ainsi sauver l’entreprise d’une faillite vers laquelle elle se dirigeait faute d’argent liquide frais. Elle était convaincue d’y arriver, y mettrait tout son pouvoir, finalement son emploi était en jeu lui aussi. La rencontre avait été facile, l’homme s’était montré charmant et intéressé. Puis il lui avait proposé de la raccompagner dans sa limousine luxueuse. Le trajet étant long et la voiture recelant un mini-bar, ils ouvrirent une bouteille de champagne et burent à leurs projets respectifs et, qui sait, dans un futur proche, peut-être communs. Et depuis ce moment, la jeune fille ne pouvait se souvenir de ce qui avait pu arriver. Elle s’était soudain sentie prise d’un sommeil irrépressible. Quand elle s’était éveillée de ce repos non désiré, elle était couchée dans son lit, entièrement nue, les membres endoloris et une matière poisseuse achevant de sécher sur l’intérieur de ses cuisses. Elle avait alors compris, dans un sursaut d’horreur et de révolte, ce qui avait suivi la coupe de champagne dans la limousine. Elle s’habilla sans se laver, se rendit à l’hôpital pour faire constater le viol dont elle avait été victime. Elle exigea qu’on relève l’ADN de l’homme et qu’on procède à un examen du contenu de son estomac et put ainsi vérifier qu’elle avait bien ingurgité la « drogue du violeur » qui effrayait tant de femmes. Elle avait toutes les preuves en main. Elle ne porterait pas plainte si l’homme investissait la somme nécessaire pour sauver la société qui l’employait et elle s’engageait à garder le silence sur son crime. La femme de ménage la consola du mieux qu’elle put. Pas un instant, elle n’eut le moindre doute sur la véracité de cette histoire. Elle demanda à la jeune femme de lui remettre les documents attestant du forfait et lui assura qu’elle obtiendrait de l’homme ce qu’elle exigeait. Ensuite, après le départ de la jeune femme, elle écrivit une lettre adressée à un notaire bien connu de la place. Celui-ci ne devait l’ouvrir qu’en cas de disparition subite de l’expéditrice. Elle y décrivait ce qui venait de se passer sans oublier aucun détail et y joignait les originaux que lui avait remis la victime. Puis elle alla en ville pour poster la lettre et faire des courses : le moment était venu de s’offrir la plus belle robe qu’elle avait jamais portée. Elle mit beaucoup de temps à la choisir, elle devait être parfaite. Elle rentra à la villa, enfila sa robe toute neuve, s’installa dans le meilleur fauteuil du salon, le préféré du propriétaire, et attendit. L’attente ne fut pas longue. Le maître la regarda avec surprise. Aucun effluve ne sourdait de la cuisine. Le repas n’était donc pas prêt ? Il allait lui en faire le reproche quand elle se mit à parler. Elle savait tout ce qui s’était passé la veille et elle possédait les certificats de l’hôpital prouvant son implication dans les sévices infligés à la jeune fille. Il ne s’en tirerait pas. Si cette affaire venait à être connue, il perdrait tout, son travail, sa réputation, ses relations. Le silence lui était garanti s’il mettait une partie de sa fortune à la disposition des chefs de l’entreprise où travaillait sa victime et s’il échangeait sa place contre celle de la femme de ménage. Et s’il s’avisait de ne pas respecter scrupuleusement ces deux exigences, la police serait immédiatement mise au courant de la manière dont il avait passé la nuit. Et s’il rêvait de se débarrasser de la femme de ménage, que cela reste pour lui du domaine du rêve : elle avait pris les précautions nécessaires et sa disparition aurait pour conséquence immédiate son arrestation et l’inculpation de meurtre en sus de celle de viol. Et depuis ce moment, à l’abri des hauts murs qui entourent sa propriété, la femme domine l’homme qui purge ainsi sa peine et qui, à l’extérieur, continue de vivre comme si de rien n’était. |
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Dominique Roussy
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Un atelier d'écriture animé par Mireille Callu : j'y vais, j'y vais pas ?
J'ai toujours adoré lire mais de là à penser que moi aussi je pourrais essayer d'écrire…
Finalement, la curiosité l'emporte et me voilà, avec mon cahier d'écolière attardée, assise avec dix autres personnes à une grande table, le cœur battant. Premier exercice et ma plume court si fluide et si vite que je n'ai bientôt plus d'encre et dois emprunter un bête stylo. Puis vient la lecture aux autres participants… et à vous maintenant, si cela vous chante…